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HOLY GOSSIP
10 mars 2019

[PISTES DE RÉFLEXION] J'ai regardé "Leaving Neverland"

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Dan Reed, réalisateur de Leaving Neverland, entouré des deux hommes disant avoir été abusé par Michael Jackson : Wade Robson (à gauche) et James Safechuck (à droite). Le premier a rencontré Jackson une première fois en guise de récompense après être sorti vainqueur d'un concours de danse, le second sur le tournage d'une publicité pour Pepsi.

Dès sa projection en janvier dernier, au pays de l’Oncle Sam, à l’occasion de l’évènement phare du cinéma indépendant, le festival Sundance : le fameux documentaire Leaving Neverland, signé un certain Dan Reed, avait d’ores et déjà sidéré son audience et déclenché une véritable hystérie médiatique n’ayant fait que s’accroître avant d’y franchir des sommets ce mois-ci, notamment après la première diffusion télévisuelle du film sur HBO, le week-end dernier, elle-même suivie d’une émission spéciale animée par l’empirique Oprah Winfrey, aux côtés de son réalisateur et des deux hommes qu’il met en exergue, dont Michael Jackson aurait sexuellement abusés. Boycotté de toutes parts avant même d’être révélé aux petits écrans, qu’il s’agisse de l’entourage familial de Jackson ou de ses fans les plus dévots, Leaving Neverland était attendu comme un agglomérat de pathos cupide, pressant le citron du statut présumé de Jackson comme monstre pédophile fantasque à souhait, jusqu’à la dernière goutte ; en peinture de quatre heures, d’un « Roi de la Pop » prédateur tirant sur la corde d’une bizarrerie olympique, au sein de sa cité enfantine – Neverland, ranch de tous les fantasmes – ou véritable temple à l’œuvre de Barrie. La corrélation entre l’ultime icône pop et pédophilie ne date pas d’hier, en effet, cela fait près de trois décennies successives que des accusations d’abus sexuels sur mineurs assombrissent l’héritage musical de Jackson. La première poursuite judiciaire remontant à 1993, où Jackson est suspecté d’avoir molesté le jeune Jordan Chandler, affaire étouffée grâce à une somme astronomique déversée par l’interprète de Thriller ; avant une seconde plainte similaire dix ans plus tard, formulée entre autres par l’adolescent Gavin Arvizo, débouchant cette fois-ci sur un procès en 2005, étendu sur cinq mois, où le chanteur sera finalement acquitté, bien que ces allégations aient considérablement entaché son image publique. Si du vivant de Jackson, les médias ont semblé faire leurs choux gras sur un discours érigeant Jackson en bête de foire abracadabrante faisant l’objet d’incommensurables rumeurs et autres ragots, des plus vraisemblables aux plus loufoques ; à la suite de son décès, la narration médiatique a pris une tournure soudainement plus bienveillante, visant visiblement à créer une espèce d’empathie collective, notamment quant aux crédibles traumatismes liés à une enfance volée, particulièrement douloureuse, ou encore son plausible « syndrome de Peter Pan ».

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Jackson entonnant We are the World, entouré de fans, aux World Music Awards, à Londres, le 15 novembre 2006.

Je fais partie de ces mordus de Jackson l’ayant découvert – artistiquement parlant, j’entends – sur le tard, après son décès, des suites de l’avalanche médiatique et marketing commémorant son héritage en tant que mastodonte canonisé du patrimoine musical mondial. Faisant de moi une groupie de compétition, élevant le « King of Pop » au rang des artistes que j’emporterais volontiers sur une île déserte, suivi de près par Whitney Houston, Mariah Carey ou encore Lauryn Hill. Bien évidemment l’acquisition de la quasi-totalité de sa discographie, de livres en veux-tu en voilà, de documentaires et DVD de concerts, ou autres posters et jeux vidéo n’a pas dérogé à la règle… Enfant, je connaissais brièvement le bonhomme après avoir fouiné dans la discothèque de mon père et été atteint de cette sorte de fascination ahurie face à la pochette aux allures renaissantes et LaChapellesques de Dangerous, puis été à la fois intrigué et séduit par ses pistes malgré de tenaces rayures, hypnotisé par ce qui m’apparaissait comme une singularité ainsi qu’une bizarrerie phénoménales chez le Jackson. Dans les cours de récréation ou encore les bus scolaires il était évidemment de bon ton de commenter son apparence spectrale, là où les autoproclamés, prétendants au Marrakech du rire, testaient leur élasticité nasale, ratatinant le bout de leur nez, tout en tirant sur leurs narines avec le bout du pouce, tentant une imitation fastidieuse de l’œuvre chirurgicale expérimentale campée par l’insolite tarin de Jackson. En parallèle, ont été rapidement entonné des mélodies, pas celles des Beat It et autres Bad à gogo, mais empestant la pédophilie.

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Sur le tournage de Thriller.

Si avant même sa diffusion française le 21 mars prochain sur M6, le documentaire d’abord rebaptisé Michael Jackson : la parole aux victimes s’est vu revenir à une appellation plus proche de son titre original – Michael Jackson : Leaving Neverland – puisque que la chaîne s’est vue accusée de diriger l’opinion publique de manière trop explicite avec cet intitulé francophone, notamment après que des fans français de la star aient fortement fait pression. De son côté, la famille de Bambi s’est précipitée pour poursuivre HBO en justice là où des quatre coins du globe, bon nombre de fans hurlent à la supercherie, n’hésitant pas par exemple, à sortir des vieux tiroirs des vidéos de Robson encensant Jackson, puis à les relayer en masse, pour discréditer ses témoignages. Pendant qu’au Canada par exemple, certaines radios censurent d’ores et déjà le « Roi de la Pop ».

Alors qu’R. Kelly fait face à un séisme médiatique et judiciaire des suites d’accusations analogues, notamment après la diffusion de la bombe documentaire Surviving R. Kelly sur la chaîne américaine Lifetime en janvier dernier, Michael Jackson n’est plus là pour se défendre. C’est d’ailleurs un des arguments récurrents en vue de défendre l’héritage de la star, face à l’indignation suscitée par Leaving Neverland. Tout comme celui de l’appât du gain, que ce soit du côté des admirateurs les plus pieux du chanteur iconique ou de la colère de sa famille. Notons que Wade Robson et James Safechuck n’auraient pas été payés pour participer au fameux documentaire.

Si en plus d’avoir innocenté Jackson après son procès en 2005, le travail judiciaire, en amont, s’étant investi sur plus d’une décennie, n’aurait jamais trouvé la moindre preuve allant dans le sens de la culpabilité de la star. Nombreux sont les internautes, en réaction ou non au visionnage de Leaving Neverland, à soupçonner les deux victimes présumées de mentir outrancièrement, pointant du doigt, entre autres, la longueur de leur silence – puisque ces derniers témoignent finalement dix ans après la mort de Jackson, l’un d’eux ayant d’ailleurs menti pour le défendre lors de son procès. La fin de ce mutisme a peut-être entre autres, été favorisé par la vague #MeToo ; et d’un point de vue culturel, je crois que les injonctions à la virilité de nos sociétés et ses performances de puissance attendues, n’encouragent pas forcément les hommes à partager ces expériences, qui pour certains, peuvent faire office d’émasculation…

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Michael Jackson célébrant son entrée dans le Guinness World Records, grâce à Thriller, album le plus vendu de tous les temps, à Londres, le 14 novembre 2006.

Après avoir visionné le documentaire, soit Wade Robson et James Safechuck ont fait l’Actors Studio et sont d’aussi bons acteurs que le R. Kelly interviewé par Gayle King sur CBS ; soit la balance penche plus du côté de la crédibilité qu’ils ont suscité chez moi que vers une supercherie – qui serait une sacrée performance théâtrale de quatre heures, tout de même. A également été reproché l’absence totale de membres de la justice, de la famille Jackson ou du personnel de Neverland par exemple : ce à quoi Dan Reed a confessé auprès d’Oprah Winfrey qu’il ne souhaitait faire intervenir ces personnes dans la mesure où elles représentaient pour lui un risque de discréditer la légitimité du témoignage des deux potentielles victimes. En effet, son film se concentre sur les propos recueillis de Robson et Safechuck, leur famille et compagne respective – les voix-off ne sont d’ailleurs pas celles de narrateurs mais celles des deux hommes. Comme Dan Reed l’avait rapporté dans une interview par Billboard, l’intention n’a jamais été de faire un documentaire à propos de Jackson – « [it] was never about Michael Jackson ». Leaving Neverland semble davantage se vouloir être une immersion au sein des traumatismes engendrés par l’abus sexuel en lui-même et moins une seconde mise à mort symbolique de Michael Jackson. Il est essentiellement constitué de propos recueillis, tantôt épaulés par des images d’archives : vidéos de Jackson à Neverland, faxes, enregistrements de conversations téléphoniques, ou encore, photographies des familles aux côtés de la star. Dan Reed reste relativement sobre en privilégiant des plans plus ou moins rapprochés sur ses intervenants mais tombe malheureusement dans le pathos en invitant occasionnellement des violons à chanter quelques notes. Le documentaire prend rapidement le parti de la culpabilité de Michael Jackson pour relater le parcours de son duo de protagonistes, avec notamment une mention importante accordée aux détails, en exposant le déroulement des abus. Il ne s’épargne pas pour autant certaines réponses à des questions tenaces que se pose l’opinion publique : Wade Robson y explique par exemple les motivations qui l’ont poussé à mentir au procès de Jackson. Leaving Neverland réveille aussi à mon sens, la dichotomie envisagée entre œuvre et individu, ou entre individu et artiste, depuis sa parution, il fait également débat en animant autour de la question suivante : « faut-il continuer à célébrer ainsi qu’à propager la musique de Michael Jackson ? ». Il agite tout autant en opposant uniquement la parole de deux hommes à un travail judiciaire antérieur effectué en abondance, et en semblant lui donner plus de poids. Ce à quoi j’aurais tendance à répondre que, n’étant ni thérapeute, ni victime de tels actes, il me paraît cependant déplacé de prétendre parler au nom des concernés, même quand cela n’est que présumé. Je crois que le traumatisme est quelque chose de particulièrement singulier, complexe et propre à chacun dans la manière dont il est vécu – bien qu’il arrive que des caractéristiques soient partagées. Au fond, si l’agresseur supposé n’était pas une icône de l’envergure de Jackson, l’opinion publique serait-il dans un tel clivage ? N’est-ce pas peut-être l’incapacité latente à tourner le dos à l’héritage artistique de Jackson qui rend si réfractaire à l’écoute des supposées victimes ? Quoiqu'il en soit pour beaucoup, le doute autour de l'innocence du chanteur demeure. Saura-t-on un jour le fin mot de l'histoire ?

 

Lewis

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